Un bon fils

Elle est morte sous la pluie. Elle est tombée d’un coup, à peine le temps de pousser un jappement. Elle a glissé lentement sur l’herbe mouillée, la tête en avant, jusqu’au creux du fossé. Je me suis précipité, je l’ai tirée pour la remettre sur le bas-côté. Les pattes étaient déjà raides. J’ai ouvert sa gueule, la langue pendait de travers, babines retroussées. J’ai cru voir le poitrail se soulever mais elle était morte, un léger voile lui couvrait la cornée.
Une voiture s’est arrêtée. Quand il a vu ça le type m’a proposé de la charger dans le coffre et de me ramener. Ma veste était pleine de boue. Il me demanda comment les choses s’étaient passées. Je ne répondis rien et il n’insista pas. Je la déposai à l’entrée du jardin et jetai sur elle un sac plastique. Le type s’assit dans la cuisine. La pluie redoublait. Je pris la bèche et me mis au travail. Je pensais à ma mère. Le cancer l’avait rongée de l’intérieur comme une vieille peau qu’on retourne. Ils lui avaient enlevé son dentier et de sa bouche fripée ne sortaient plus de mots, rien qu’un halètement. Je dus coller l’oreille à son visage pour l’entendre murmurer Tu as été un bon fils. C’était le dernier soir, je le savais et je ne voulais pas la quitter mais quand elle murmura Tu as été un bon fils la poitrine se mit à me brûler et je me sauvai comme un voleur.
Je la tenais dans mes bras, j’avais coincé la tête au creux du coude. Je la laissai basculer. Je restai un moment à la regarder. Elle était tombée de travers. Je la remis sur le flanc. Le trou n’était pas assez grand et je dus appuyer la tête contre la paroi pour la faire tenir. Le type m’avait versé un verre. Je restai debout pour le boire, regardant par la fenêtre le cerisier en fleurs.

Roger Wallet